Conférence : Déjouer les pièges du management distractif... une idée simple pour préserver sa santé mentale.

À première vue, nous sommes face à un paradoxe : les jeux, classés par de nombreux penseurs comme relevant de l’enfance, de la futilité et du simple divertissement, se sont vus peu à peu attribuer des qualités propices à modifier des activités sérieuses propres aux adultes.
Dorénavant, les jeux de rôles ne sont plus étiquetés comme dangereux pour la santé mentale des adolescents rôlistes : ils sont mobilisés par des centaines de services de ressources humaines pour recruter les futurs salariés des entreprises. Si les jeux vidéo souffrent encore d’une image sulfureuse due à la violence de certains univers, l’Éducation nationale n’hésite pourtant pas à en expérimenter l’usage dans certaines de ses formations. En fait, les jeux ont littéralement envahi les espaces professionnels.

Est-ce à dire que le sérieux du travail a fait place à la futilité ludique ? Que faut-il penser de ces travailleurs jouant au ping-pong ou glissant sur des toboggans colorés pendant leur temps de travail ? Et de ces salariés se pourchassant dans les couloirs de leur entreprise pour se tirer dessus avec des projectiles en plastique ? Sont-ils réellement en train de travailler ou s’amusent-ils au détriment de leur employeur ?

Grâce à l’utilisation ciblée et réfléchie de ressorts ludiques relevant généralement des jeux réglés de type game (principe agonal, récompenses, etc.), les managers visent à utiliser au mieux ce que Karl Marx appelait la « force de travail » pour maximiser le profit tiré de la captation d’une partie plus ou moins importante des efforts consentis par les travailleurs au cours de leurs activités.
Cette recherche de valorisation de l’engagement laborieux grâce à des ambiances « fun », « détendues », « ludiques » s’est diffusée dans de multiples configurations professionnelles, aussi bien dans l’industrie que dans les services, et concerne dorénavant un nombre toujours croissant de travailleurs. Le but des promoteurs de cet art de gouverner par le maniement du divertissement et de la diversion consiste à mettre en place des dispositifs usant de ressorts propres au jouer, de manière à modifier les règles de métier, en facilitant discrètement un engagement subjectif dans les activités ainsi remaniées. Avec des conséquences pratiques, éthiques et en matière de santé mentale que plusieurs enquêtes ont permis d’analyser avec précision.

L'invité : Stéphane LE LAY

Sociologue du travail, associé à l'Institut de psychodynamique du travail (Paris). Il est spécialisé sur les questions de santé mentale au travail et s’est beaucoup intéressé aux travailleurs des déchets. C’est à partir de ce terrain d’enquête qu’il a développé, depuis une dizaine d’années, une analyse des rapports entre jeu et travail dans différentes configurations professionnelles, et leurs incidences sur les formes de coopération et sur la santé des travailleurs.

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